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18e journée scientifique de l’ADERAE

Synthèse

Les leaders en milieux scolaires ont non seulement été confrontés aux vagues de la crise sanitaire de la COVID-19, mais ils ont dû trouver de nouvelles manières d’accomplir les missions éducatives et pédagogiques de leur organisation, et ce, pour la réussite et le bien-être de tous. Deux ans plus tard, on peut dire que la pandémie agit comme un révélateur des désorganisations et des réorganisations scolaires (Delobbe, Lémieux et Bernatchez, 2020; Tardif, Cividini, Mukamurera et Borges, 2021, Letor et Capitanescu, sous presse). Toutefois, certains acteurs attendent que la crise passe tout en mettant entre parenthèses le projet éducatif. Tandis que d’autres déploient une énergie extraordinaire à mobiliser leurs partenaires pour développer des solutions et répondre au mieux aux situations pédagogiques et organisationnelles. Dans ce dernier cas, certaines solutions et situations donnent lieu, à divers endroits et avec des intensités variables à de nouvelles représentations, normes, postures, pratiques, méthodes ou outils, qui sont autant d’innovations. Par exemple, l’intégration des technologies de l’information et de la communication dans toutes les sphères de la vie scolaire a, entre autres, occupé une place importante en milieu scolaire.  Mais ce n’est pas le seul et unique domaine d’innovation. Alors, entre l’espoir d’un retour à la normale et un désir de nouvelles normes, les leaders poursuivent au quotidien la gestion des impacts directs et indirects de cette crise sanitaire qui perdure. Alors, qu’en est-il aujourd’hui de la deuxième rentrée scolaire après deux années de pandémie où le retour à la normale se pose encore?

L’innovation en milieu scolaire prend du temps. Alter (2000) définit l’innovation comme un processus collectif de transformation d’une découverte ou d’une invention en pratiques nouvelles insistant davantage sur le processus que sur l’originalité du produit. Dupuy (2020) montre que les changements imposés aux organisations sont réappropriés par les acteurs. L’analyse organisationnelle des systèmes éducatifs montre que ceux-ci sont particulièrement propices aux innovations et peu aux changements à large échelle (Huberman, 1992 ; Elmore, 1996 ; Dupriez, 2015). Pourquoi? Les apprentissages passent par les individus qui, au cours de leurs interactions, font circuler leurs connaissances, les mettent à plat, les remettent en question en profondeur et, le cas échéant, modifient leurs représentations et leurs pratiques. D’un côté, le rôle de la direction dans le soutien de ces dynamiques est prépondérant dans le développement d’une vision qui donne sens aux actions, dans la gestion active des conditions de collaboration, dans le soutien des actions innovantes et de leur régulation à travers des dispositifs de communication, de veille, d’évaluation, de gestion de climat et de développement professionnel. De l’autre côté, la désignation ou l’émergence de leaders de régulation intermédiaires qui agissent en tant que leader du processus semble également être déterminante. Enfin, les enseignants-chercheurs, dans leurs pratiques de recherche et de formation, jouent un rôle dans l’accompagnement de telles dynamiques, notamment dans des démarches de recherche-action (Frigon, Gravelle et Lafranchise, 2019 ; Guillemette, 2021).

En tenant compte de ce qui précède, certaines questions peuvent guider notre réflexion sur le leadeurship et l’innovation organisationnelle en matière de pédagogie et d’apprentissage, de systèmes et partenariats ainsi que d’apports de la recherche empirique par rapport à ces processus de (re)défintion de l’école et de la vie scolaire.

a) Questions relatives à la pédagogie et l’apprentissage

  • Quelles innovations organisationnelles se révèlent pertinentes en cohérence avec les missions pédagogiques, en l’occurrence avec les objectifs fixés par les gouvernements ?
  • Comment les directions des organisations scolaires, à l’échelle des établissements scolaires, de centres de services scolaires ou d’autres organisations intermédiaires (dont les organisations autochtones) ont sollicité, soutenu, encadré le développement de ces innovations et en quelque sorte, développé des dynamiques d’apprentissage organisationnel ? À quelles conditions et avec quels impacts ?
  • Quelles innovations organisationnelles ont émergé des vagues successives de dé-re-confinement à la suite de la pandémie COVID-19? Quelles problématiques méritent notre attention pour les prochaines années ?

b) Questions relatives aux systèmes et aux partenariats

  • Quelles pratiques de gestion et de leadership sont à développer pour soutenir et propager les innovations significatives dans nos systèmes éducatifs ?
  • Quels sont les leviers de propagation de ces innovations dans les organisations scolaires : établissements, Centres de service scolaires (Qc), réseaux ou Zones (Be), académies (FR) ou canton (CH) ?
  • Quels styles de? leadeurships se développent considérant les différentes parties prenantes dans de tels processus collectifs : des directions d’établissement, de centres de services et de leurs services, des enseignants et personnels éducatifs, des chercheurs, des bénéficiaires et partenaires de l’école, etc.?

c) Questions relatives Apports de la recherche empirique

  • Quels cadres et orientations offre la recherche pour analyser, comprendre, modéliser et soutenir la transformation des organisations ?
  • Quel est le rôle des équipes de recherche dans l’analyse, la compréhension, la modélisation et le soutien de telles dynamiques dans les organisations scolaires ?

Résumé

L’arrivée de la pandémie de COVID-19 a incité les établissements scolaires à créer de nouvelles manières de s’organiser et des façons d’être et de faire afin de poursuivre leurs missions éducatives et pédagogiques. Les directions d’écoles, en collaboration avec leurs équipes, ont ainsi mis en place des pratiques permettant de s’adapter à la crise sanitaire. Elles ont eu recours, entre autres, au développement de nouvelles initiatives, à la mise en place des réseaux d’acteurs internes et externes à l’école et à l’expérimentation de nouveaux outils de travail. Il s’agit là de pratiques inspirantes et d’innovations permettant aux milieux scolaires de s’adapter à la nouvelle situation complexe.

Si ces innovations ont été repérées, il est intéressant de se poser la question de la pertinence de les faire perdurer au-delà de la crise, voire de les propager. Comment les directions des organisations en milieu d’éducation, à l’échelle des établissements scolaires, des centres de services scolaires ou d’autres organisations des milieux éducatifs, ont sollicité, soutenu, encadré le développement de ces innovations? Et comment ces directions ont développé des dynamiques d’apprentissage organisationnel ? La journée scientifique de l’ADERAE offre donc un espace pour témoigner, analyser, modéliser ces dynamiques et apprendre de nos expériences en lien avec les enjeux actuels de nos systèmes éducatifs.

Problématique

La crise sanitaire a agi comme un révélateur des désorganisations et des réorganisations scolaires (Delobbe, Lémieux et Bernatchez, 2020; Tardif, Cividini, Mukamurera et Borges, 2021, Letor et Capitanescu, sous presse) dont les milieux scolaires ont fait part selon les expériences des acteurs[1]. Les milieux scolaires ont fait face aux vagues de la pandémie de COVID-19 en créant de nouvelles manières de s’organiser pour poursuivre leurs missions éducatives. Des innovations, comprises comme appropriations successives et quotidiennes d’une nouveauté (Alter, 2000), se sont ainsi développées. Soutenues par du travail collaboratif intense, de la formation et du leadership de la direction, ces innovations peuvent se propager et perdurer tout en s’apparentant à des dynamiques d’apprentissage organisationnel (Fleury, Guingand et Lhomme, 2000; Garant, Letor et Bonami, 2010; Guillemette, Bouvier, Begyn et Langanay, 2018; Letor, 2015; Sotiriou, Riviou, Cherouvis, Chelioti et Bogner, 2016). Dans cette perspective d’apprentissage organisationnel (Argyris et Schön, 2002/1996, Bouvier, 2004, Nonaka et Takeushi, 2003/1997, Senge, 1990), il est intéressant de repérer ces innovations et de comprendre comment celles-ci sont réappropriées par les acteurs et comment elles sont soutenues par les directions en vue de les pérenniser tout en répondant aux missions éducatives de l’école.

1. Chronique d’une crise scolaire

Afin de saisir la problématique, nous retraçons quelques phénomènes significatifs qui ont parcouru la longue période de crise que traverse le système éducatif en soulignant le questionnement des innovations et de leur propagation en établissement scolaire.

Au début de la pandémie, les directions et le personnel des écoles étaient fort occupés par la mise en œuvre de plans d’action visant la réussite des élèves dans le cadre de la gouvernance axée sur les résultats. Les directions, particulièrement sollicitées par ces réformes instaurées dans la plupart des systèmes éducatifs occidentaux, ont adopté favorablement le rôle qui leur est attribué (Dutercq, Gather Thurler et Pelletier, 2015; Gravelle, 2015; Maroy, 2017; Veyrac, Bos et Chaliès, 2018). À cœur du changement, les directions assumaient, non sans peine, mais avec un certain enthousiasme leur nouveau rôle d’accompagnement en matière du changement organisationnel selon les politiques éducatives (Progin, Letor, Étienne et Pelletier, 2021). Elles étaient concentrées à mobiliser l’équipe et la communauté éducative dans la gestion participative d’un plan stratégique innovateur et singulier pour améliorer les performances de leur école. La gouvernance par les résultats, jouant sur l’autonomie et la responsabilisation des acteurs d’une part, et la reddition de compte d’autre part, s’apparente à une approche professionnelle de faire réforme (Rowan et Miller, 2007). Conjuguant des caractéristiques de réforme procédurale ou communément appelée top-down et des caractéristiques de réformes culturelles basées sur l’émergence d’innovations, cette approche passe par la définition d’orientations claires et le contrôle des actions en lien avec des objectifs standards tout en promouvant la mobilisation des équipes autour d’une direction au leadeurship pédagogique affirmé. C’est à ce titre que les innovations sont promues (Cros, 2018; Capitanescu Benetti, 2010 ; Dupriez, 2015 ; Maulini et Progin, 2016 ; Brossais et Lefeuvre, 2018).

Alors que la mobilisation des équipes pour produire et mettre en œuvre des projets éducatifs singuliers était en plein essor, la crise sanitaire a soudainement fermé les écoles et les a réduites somme toute à un rôle de garderie. Que ce soit au Québec, en Suisse, en France ou en Belgique[2], la confusion a mis à mal les directions d’école. Celles-ci étaient à la fois tenues à transmettre les injonctions d’ordre sanitaire, témoignant d’un mode de gestion particulièrement bureaucratique et centralisé et faisant face aux besoins locaux d’ordre socioéducatifs. Pour y répondre, sans directive claire, les directions se sont mobilisées et adaptées.

Sur le terrain, après un moment d’ébranlement, les acteurs et actrices de l’enseignement ont déployé un éventail de stratégies pour restaurer une relation pédagogique et poursuivre les enseignements dans un contexte particulièrement instable. Tout en faisant respecter les mesures sanitaires, ils et elles ont cherché à enseigner « les essentiels » tout en s’appropriant les outils numériques dans des classes recomposées sans cesse. Des nouvelles modalités de travail ont été rapportées : des enseignants de différentes générations ont échangé leurs compétences numériques, en planification ou gestion des élèves, des conseillers pédagogiques et enseignants se sont rapprochés dans la préparation des enseignements, le rapport avec les familles a percé les cloisonnements traditionnels, les parents prenant part à la classe avec leur enfant à la maison alors que les enseignants observaient la vie de famille parcourir l’écran, des occupations du temps et des espaces ont été revisitées, l’expérience du télétravail, pourtant traditionnelle pour les enseignants, a pris d’autres dimensions, etc. De nouvelles expériences ont vu le jour dans et entre les écoles, les organisations intermédiaires et les instances ministérielles : des échanges accrus entre ou avec différents services du système éducatif, entre écoles de secteurs, régions et réseaux différents, de nouvelles tâches pour les acteurs de ces instances, l’apparition de nouveaux métiers, etc.

Ces tendances sont à lire avec nuance considérant la grande variabilité dans la propension à se réorganiser, qui fut selon le cas, le fait d’individus isolés, de petits groupes ou d’une mobilisation de l’équipe éducative menée par la direction. Certains et certaines ont attendu que passe la crise mettant entre parenthèses tout projet alors que d’autres ont déployé une énergie extraordinaire à mobiliser leurs partenaires pour développer des solutions et répondre au mieux aux situations pédagogiques et organisationnelles. C’est dans ce contexte que des innovations ont émergé.

Parmi ces situations, d’aucuns ne contesteront l’électrochoc numérique que la pandémie a suscité et que les acteurs se sont appropriés dans toutes les sphères de la vie scolaire. Le numérique a investi les pratiques les plus anodines et mérite une attention particulière[3]. Cependant, son omniprésence risque de voiler des problématiques éducatives et organisationnelles qui se sont révélées particulièrement sensibles. Nous attirons dès lors l’attention des préoccupations qui ont été soulevées, certaines comprenant une dimension numérique. Du point de vue éducatif, la question du développement de l’autonomie de l’élève comme condition d’apprentissage et comme finalité, s’est posée de manière quotidienne. De même, la socialisation des élèves passant par la vie scolaire dans et hors école a été traitée avec un nouveau regard. La fonction de garderie que l’école remplit au-deçà de ses missions éducatives s’est retrouvée au cœur des conversations entre les parents, les acteurs scolaires et sociaux. De manière plus prosaïque, mais tout aussi fondamentale, la santé physique et mentale des élèves, ainsi que les besoins primaires comme l’alimentation des élèves ont émergé parmi les préoccupations les plus aigües. En temps normaux, ces dimensions constituent des allants de soi peu discutés ou traités au second plan. Elles ont occupé les esprits de manière exceptionnelle, reléguant à certains moments les missions pédagogiques de l’École au second plan. Concernant les pratiques pédagogiques, tous les moments de l’année scolaire ont révélé des situations pratiques et leur lot de questionnements posés avec un nouveau regard, tels que les méthodes alternatives pour établir l’évaluation des apprentissages, la disparité amplifiée dans les acquis des élèves en fin et en début d’année, surtout auprès des plus vulnérables, et la différenciation des apprentissages devenue incontournable, les freins à la sanction des études – notamment la diplomation en formation professionnelle et pour adultes -, etc. Enfin, les problématiques récurrentes telles que celles des inégalités scolaires, de l’absentéisme et du décrochage des élèves se sont accrues et se sont manifestées dans des situations critiques.

Loin d’être exhaustif, cet inventaire de situations a amené les acteurs à trouver des solutions concrètes dans l’urgence, à renouveler leurs pratiques quotidiennes et à modifier les rapports qu’ils entretiennent avec leurs partenaires sociaux, communautaires et professionnels. Du point de vue organisationnel, les situations de pénurie, d’absentéisme et d’instabilité des personnels se sont particulièrement dégradées, mettant le système au bord de la faillite. La gestion de crise attire de prime abord l’attention sur le pilotage des aspects organisationnels comme la répartition des tâches et leur coordination, la gestion des ressources matérielles, la planification du temps et des espaces. La dimension humaine et relationnelle de la crise a suscité une attention majeure. Les gestionnaires ont déployé leurs compétences en communication dans ses aspects techniques, organisationnels et humains, et en sus, ont veillé au développement de ces compétences chez leurs partenaires. Ils ont pris la mesure de l’importance du bien-être des personnes. D’autres dimensions du travail se sont rénovées. Parmi celles-ci, le travail collaboratif, généralisé sous forme de dispositifs tels que les communautés d’apprentissages (CAP) et professionnelles (COP), a été expérimenté dans des dimensions interdisciplinaires, interprofessionnelles et interorganisationnelles. La gestion participative de l’établissement initiée pendant la crise a pris sens du moins dans certains milieux. La répartition et la coordination des rôles et responsabilités ont été revues impliquant l’engagement de personnels pour de nouvelles fonctions ou des fonctions renforcées (par exemple, la conciergerie et la surveillance des élèves), la réaffectation des personnes, l’émergence de nouveaux rôles intermédiaires et pour toutes et tous, du travail supplémentaire ou davantage fractionné. L’organisation du travail autour des unités-classes propre à la forme scolaire ainsi que les organigrammes, les procédures et routines de travail, l’occupation du temps et de l’espace ont été bouleversés tout comme les relations avec la communauté éducative, les familles et les partenaires de l’école.

Ces situations et questionnements ont donné lieu, à divers endroits et avec des intensités variables à de nouvelles représentations, normes, postures, pratiques, méthodes, outils, qui sont autant d’innovations. Si des perturbations, des dérèglements, des conflits et des tensions ont été ressentis, de nouvelles organisations scolaires ont été développées dans le quotidien des écoles et des organisations intermédiaires, les pratiques en classe et hors classe se sont transformées, laissant apparaitre de nouveaux modes de répartition et coordination du travail, mais aussi de nouvelles solidarités, alliances, coopérations et coalitions, voire des expérimentations et innovations (Lemieux et al., 2021, Letor et Capitanescu , sous presse).

Qu’en est-il aujourd’hui après la deuxième rentrée après le début de la pandémie. La question de la normalité se pose. Entre l’espoir d’un retour à la normale et un désir de nouvelles normes, les acteurs poursuivent au quotidien la gestion des impacts directs et indirects de la crise sanitaire. Outre la fatigue palpable, le sentiment est double. Il y a d’une part un certain empressement à reprendre les choses là où elles se sont arrêtées :  tout autant les anciennes pratiques d’enseignement, d’organisation des tâches et des responsabilités, dont notamment le développement des plans stratégiques à la poursuite des objectifs fixés avant la crise (projets éducatifs des établissements scolaires, plans d’engagement vers la réussite des Centres de services scolaires au Québec, plans d’action et contrats d’objectifs en Belgique francophone,  les projets d’école ou d’établissement et les contrats d’objectifs des académies en France, projet d’établissement/plans d’étude des Cantons francophones suisses). D’autre part, de nouvelles préoccupations se sont dessinées en lien avec des innovations mises en œuvre ci et là pendant la crise. Dans cette double préoccupation, certaines directions ont l’intention de saisir l’opportunité de transformer les pratiques en s’appuyant sur les questionnements suscités et les nouvelles pratiques initiées pendant la pandémie afin de soutenir le développement de pratiques désirées alignées aux objectifs du plan stratégique. En ce sens, elles promeuvent de l’apprentissage collectif et organisationnel au sein de leurs organisations, au niveau local en établissements scolaires ou plus largement, en Centres de services scolaires (Qc), en réseaux et zones (Be), en Académies (Fr) ou en Cantons (Ch).

2. De l’innovation à l’apprentissage organisationnel

Alter (2000) définit l’innovation comme un processus collectif de transformation d’une découverte ou d’une invention en pratiques nouvelles insistant davantage sur le processus que sur l’originalité du produit. Ce processus prend du temps, car il s’effectue par appropriations successives au cours desquelles les acteurs interprètent, modifient et transforment le projet initial en fonction de leurs intérêts, de leurs implications et des alliances qu’ils établissent. Certaines innovations ont un caractère technique et tangible, facilitant leur identification. D’autres, moins évidentes, passent par de nouvelles manières de faire et d’être, déployant des représentations, routines, postures et de nouveaux rapports sociaux renouvelés. En éducation, on s’intéresse aux innovations depuis les années soixante (Fullan, 1982, Cros, 1997) avec des connotations et des conceptions variables au cours du temps (Cros, 2018). Parler d’innovation en éducation renvoie automatiquement à des innovations pédagogiques avec de nouvelles méthodologies, techniques ou matériels pédagogiques. Les innovations en milieu scolaire peuvent prendre également un caractère organisationnel au sens de modifications de la division du travail et de sa coordination, éventuellement en lien avec des innovations pédagogiques.

L’analyse organisationnelle des systèmes éducatifs montre que ceux-ci sont particulièrement propices aux innovations et peu aux changements à large échelle (Huberman, 1992; Elmore, 1996; Dupriez, 2015). La propension à innover s’accommode bien de la dimension professionnelle du métier d’enseignant alors que les directives de changements venant de la hiérarchie sont associées à une réduction de leur autonomie et un accroissement de bureaucratie (Enthoven, Letor et Dupriez, 2016). Selon Weick (1976), l’organisation scolaire est « système faiblement articulé » caractérisé par l’absence de lien fort entre les unités de l’organisation (les classes/les écoles), une faible coordination entre ces unités juxtaposées (peu de lieux et de moments de coordination), un certain degré d’isolement des parties (l’activité des collègues est peu connue), des évaluations sur les actions peu présentes, une autonomie importante des acteurs (chacun a autorité dans son domaine, son service, sa classe). À ce propos, qualifie les écoles de boites à œufs, soulignant la structure cellulaire des écoles et l’isolement de chaque enseignant au sein de sa classe. Si depuis ces écrits, la coordination s’intensifie dans les écoles vers plus d’interaction et d’interdépendance, la structuration cellulaire Lortie (1975) persiste. Ces caractéristiques organisationnelles permettent de comprendre la forte propension à innover ci et là et la faible propension à propager ces innovations dans les organisations scolaires.

À l’instar des innovations, l’apprentissage organisationnel fait référence à un processus d’appropriation collective de nouvelles pratiques. Il s’en différencie par son caractère intentionnel et organisé de manière à répondre aux missions de l’organisation (Argyris et Schön, 1978/2002, Bouvier, 2004; Nonaka et Takeuchi, 1997/2003; Senge, 1990). Les apprentissages passent par les individus qui, au cours de leurs interactions, font circuler leurs connaissances, les mettent à plat, les questionnent en profondeur, et le cas échéant, modifient leurs représentations et leurs pratiques. Ces apprentissages se réalisent au niveau individuel et collectif, mais aussi organisationnel sous la forme de routines institutionnalisées, de représentations partagées et d’artefacts.

L’observation de telles dynamiques en organisations scolaires francophones (Garant, Letor et Bonami, 2020; Guillemette, Bouvier, Begyn et Langanay, 2018 ; Lessard, Kamanzi, et Larochelle, 2009, Letor, 2015 ; Stoll, et Kools, 2017) montre que l’apprentissage organisationnel repose sur un processus intentionnel et organisationnel : à la fois incarné par une personne qui, en l’occurrence, représente une autorité légitime de l’organisation et la mise en place de démarches d’investigation organisationnelle autour d’une situation significative, la gestion des traces des apprentissages, l’établissement d’un climat de confiance autorisant les questionnements et la controverse dans des espaces-temps de collaboration, la gestion des motivations, des jeux stratégiques et des impacts affectifs liés tensions et dérèglement qu’implique tout changement. Le rôle de la direction dans le soutien de ces dynamiques est prépondérant dans le développement d’une vision qui donne sens aux actions, d’une gestion active des conditions de collaboration, le soutien des actions innovantes et de leur régulation à travers des dispositifs de communication, de veille, d’évaluation, de gestion de climat et de développement professionnel.

La désignation ou l’émergence d’acteurs de régulation intermédiaires semble déterminante (Bouvier, 2007). La mise en évidence de conditions relevant de la direction ne signifie pas pour autant un processus descendant et mécanique. Les auteurs (Nonaka et Takeushi, 1997, Argyris et Schön, 1978/2002) parlent de gestion milieu-haut–bas recommandant de donner une part importante de leadership au management intermédiaire, attentif aux besoins et aux difficultés des opérateurs et informé des desseins de la hiérarchie. La désignation ou l’émergence d’acteurs de régulation intermédiaires qui agissent en tant que leader du processus semble également être déterminante.

Enfin, les enseignants-chercheurs dans leurs pratiques de recherche, de formation et jouent un rôle dans l’accompagnement de telles dynamiques, notamment dans des démarches de recherche-action (Frigon, Gravelle et Lafranchise, 2019; Guillemette, 2021).

Quelques questions peuvent guider notre réflexion quant à la reconduite des écoles et les rôles des directions dans l’accompagnement des équipes à s’approprier des innovations intéressantes développées pendant la pandémie pour les faire perdurer et favoriser leur propagation.

  • Quelles innovations organisationnelles ont émergé des vagues successives de dé-re-confinement ? Quelles problématiques méritent notre attention pour les prochaines années ?
  • Quelles innovations organisationnelles se révèlent pertinentes en cohérence avec les missions pédagogiques, en l’occurrence avec les objectifs fixés par les gouvernements ?
  • Quels sont les leviers de propagation de ces innovations dans les organisations scolaires : dans les établissements, dans les Centres de service scolaires (Qc), réseaux ou Zones (Be), académies (FR) ou canton (CH) ?
  • Comment les directions des organisations scolaires, à l’échelle des établissements scolaires, de centres de services scolaires ou d’autres organisations intermédiaires ont sollicité, soutenu, encadré le développement de ces innovations et en quelque sorte, développé des dynamiques d’apprentissage organisationnel ? À quelles conditions et avec quels impacts ?
  • Quels styles de leadership se développent considérant les différentes parties prenantes dans de tels processus collectifs : des directions d’établissement, de centres de services et de leurs services, des enseignants et personnels éducatifs, des chercheurs, des bénéficiaires et partenaires de l’école, etc.?
  • Quelles pratiques de gestion et de leadership développer pour soutenir et propager les innovations significatives dans nos systèmes éducatifs ?
  • Quels cadres et orientations offre la recherche pour analyser, comprendre, modéliser et soutenir la transformation des organisations ?
  • Quel est le rôle des équipes de recherche dans l’analyse, la compréhension, la modélisation et le soutien de telles dynamiques dans les organisations scolaires ?

[1] Notamment dans le cadre de la journée scientifique de l’ADERAE de novembre 2020 et du premier Webinaire, le 10 mai 2021.

[2] Ces affirmations reposent sur la lecture des journaux nationaux et les analyses réalisées lors de Webinaires organisés par des associations professionnelles et de chercheurs comme l’ADERAE, Manag’Éduc, le CRIFPE, plate-forme Pilotage)

[3] Ce dossier fera l’objet du colloque organisé par l’ADERAE è l’Acfas 2022.

Déroulement de la journée

8 h 45 : Accueil
9 h : Mot de bienvenue
9 h 30 : L’école face à l’hybridation (Alain Bouvier, recteur de l’académie de Clermont-Ferrand)
10 h 30 à 12 h : Témoignages et ateliers
12 h : Pause-repas
13 h : Retour en plénière
13 h 30 à 15 h 30 : Témoignages et ateliers
15 h 30 : Synthèse (Michèle Garant, professeure émérite de l’Université catholique de Louvain)
16 h : Clôture de la journée

Comité organisateur

Caroline Letor, Université de Sherbrooke
Mélissa Villella, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue
Alain Huot, Université du Québec à Trois-Rivières
Khaoula Boulaamane, Université Laval

Modalités et coût d’inscription

Admission générale : 21, 14 $ ;
Inscription et adhésion 2 ans étudiant : 51,14 $ ;
Inscription et adhésion 2 ans membre régulier : 141,14 $ ;
Gratuit pour les membres.

Paiement et inscription en ligne au : https://lepointdevente.com/billets/jsaderae2021 

 

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